Quand l’agriculture intelligente redessine l’avenir de l’alimentation

Angela Schuster, experte dans le domaine de l’agriculture intelligente, nous explique en quoi la numérisation transforme le secteur agricole et contribue à nourrir la planète.

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Barnaby  Lewis
Par Barnaby Lewis
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L’agriculture intelligente a pour objectif d’optimiser l’utilisation des terres et d’améliorer les rendements, première étape dans la lutte contre la faim dans le monde. Quels autres avantages l’agriculture intelligente peut-elle offrir par rapport à une approche conventionnelle ?

Angela : L’agriculture intelligente est indéniablement l’un des principaux moyens de produire plus de nourriture avec moins de ressources pour une population mondiale croissante. L’agriculture intelligente permet notamment d’accroître les rendements grâce à une utilisation plus efficace des ressources naturelles et des intrants, et à une meilleure gestion des terres et de l’environnement.

Si cette démarche est essentielle pour nourrir durablement une population toujours plus nombreuse à l’échelon mondial, l’agriculture intelligente offre d’autres avantages aux agriculteurs et aux communautés partout dans le monde.

Les chaînes d’approvisionnement conventionnelles se caractérisent par un déséquilibre des pouvoirs, les agriculteurs ayant souvent moins de pouvoir parce qu’ils disposent de moins d’informations sur la performance de leur produit au regard des exigences des clients. L’agriculture intelligente établit un lien fondamental entre les différents acteurs de la chaîne d’approvisionnement au travers d’un flux d’information efficace et équitable et contribue ainsi à une meilleure prise de décision. Elle pourrait ainsi rééquilibrer les rapports de force et permettre de redistribuer les bénéfices plus équitablement tout au long de la chaîne d’approvisionnement.

Ainsi, lorsqu’un agriculteur reçoit au bon moment des informations en retour sur son produit des différents maillons de la chaîne d’approvisionnement (par exemple, les transformateurs de denrées alimentaires ou les consommateurs), il peut identifier des opportunités de revoir son système de production afin de répondre aux besoins de ses clients, et donc d’augmenter la valeur de son produit. Pour assurer la pérennité des entreprises agricoles à l’avenir, il est indispensable de répondre à l’évolution des besoins des clients, et l’agriculture intelligente apporte un éclairage précieux pour y parvenir.

L’agriculture intelligente soutient également les activités de vérification, en corrélant les informations tout au long de la chaîne d’approvisionnement afin que les déclarations relatives à la production puissent être vérifiées. Celles-ci peuvent concerner la sécurité des denrées alimentaires produites (par exemple, dans le but de s’assurer de l’absence de tout résidu chimique nocif), le lieu où elles ont été cultivées, le traitement des animaux au sein de l’exploitation agricole ou les pratiques en matière de durabilité contribuant à la protection de l’environnement (comme la réduction des émissions de GES).

L’agriculture intelligente aide les agriculteurs à mieux cerner certains facteurs essentiels tels que l’eau, la topographie, l’orientation, la végétation et la nature du sol. Ils peuvent ainsi déterminer comment utiliser de manière optimale certaines ressources rares dans leur environnement de production et les gérer de manière durable sur les plans environnemental et économique. Les agriculteurs peuvent également contrôler le volume et la qualité de leurs produits en temps voulu et adapter leurs techniques de production si nécessaire.

L’analyse des images satellites permet, par exemple, de déterminer l’état de santé des cultures et des pâturages au moyen de l’« indice de végétation par différence normalisée », ou de déceler des maladies ou la présence de parasites plus précocement que par le biais des techniques de surveillance manuelles. Comme l’illustrent ces deux exemples, lorsqu’un agriculteur dispose de données supplémentaires, il peut dès lors mettre en œuvre des stratégies ciblées au bon moment pour prévenir d’éventuelles pertes en termes de production ainsi que l’augmentation des coûts. Il est ainsi possible de préserver les moyens de subsistance des exploitants, de permettre à ces derniers de continuer à fournir de la nourriture et d’autres produits naturels à la population générale, et de mieux gérer l’environnement.

En quoi l’automatisation transforme-t-elle l’agriculture ? Quel impact aura-t-elle sur les emplois au niveau des exploitations agricoles et des économies rurales ?

Angela : L’automatisation change la façon dont les agriculteurs prennent des décisions sur le terrain. Ils ont une meilleure vision des opportunités, des contraintes et des défis potentiels. Les exploitants peuvent également gagner en efficacité et adopter une approche plus novatrice pour produire plus avec moins de ressources. Sur le plan économique, l’automatisation permet aux agriculteurs de gagner du temps et de limiter les coûts et le gaspillage, ce qui se traduit par des marges bénéficiaires plus importantes et une utilisation plus efficace des ressources.

L’automatisation influe également sur la nature même des emplois et la manière dont les tâches sont effectuées au sein des exploitations agricoles. Un nouvel ensemble de compétences est nécessaire pour comprendre et utiliser les technologies de l’agriculture intelligente. L’acquisition de nouvelles compétences renforce en outre l’autonomie des acteurs du secteur de manière générale et attire de nouveaux profils qui n’auraient peut-être pas envisagé auparavant de travailler dans le secteur agricole. Inversement, l’agriculture intelligente peut également réduire la complexité des compétences requises.

Les semis à taux variable et l’application d’engrais au moyen de solutions issues de l’agriculture intelligente en sont un excellent exemple. Ces solutions reposent sur des systèmes logiciels permettant d’ajuster automatiquement les taux de semis ou d’engrais au fur et à mesure qu’un tracteur avance, en fonction des types de sol cartographiés et donc de la fertilité, de la salinité, de l’humidité du sol et d’autres paramètres. Dans certains cas, l’ajustement de ces taux peut se faire « en direct » – sur la base des images satellites en temps réel – ou en fonction de l’historique des différentes applications disponible sur des cartes numériques. L’application d’engrais à taux variable peut avoir un réel impact sur l’utilisation d’intrants et sur la qualité des produits grâce à des apports adéquats de macro- et micro-nutriments pour répondre aux besoins spécifiques des plantes cultivées dans différents environnements.

Dans ce cas précis, le conducteur du tracteur doit à la fois comprendre le logiciel et le fonctionnement de la machine, être capable de lire et d’interpréter les données, de surveiller l’application à mesure que le tracteur progresse dans le champ et d’effectuer les réglages nécessaires. Bien entendu, l’opérateur peut ne pas se trouver au volant du tracteur, ce qui lui donne la possibilité d’effectuer d’autres tâches tout en surveillant la progression de l’engin.

De même, les systèmes irrigués qui utilisent des solutions issues de l’agriculture intelligente peuvent intégrer des systèmes de distribution d’eau à débit variable dotés de sondes pour mesurer l’humidité du sol afin que les cultures ne soient irriguées que lorsqu’elles en ont besoin et là où elles en ont besoin, ce qui présente des avantages substantiels en termes de consommation d’eau et de rendement. Des technologies similaires peuvent être utilisées au niveau des systèmes agricoles en zone aride pour permettre aux exploitants de mieux comprendre le profil hydrique du sol et faciliter la prise de décision, notamment en ce qui concerne les semis, le potentiel de rendement et l’application d’engrais. Les opérateurs doivent être en mesure d’interpréter les résultats fournis par l’humidimètre ainsi que leur incidence en termes d’apport en eau et d’autres éléments. Ils doivent également être capables de surveiller et de vérifier le système, d’interpréter les données rapportées ou différents événements pour rectifier le tir si nécessaire.

L’automatisation peut s’avérer un réel défi pour certains agriculteurs que l’adaptation à de nouvelles technologies peut décourager. Les fournisseurs doivent donc rendre leurs technologies intuitives et faciles à utiliser pour que celles-ci soient largement adoptées.

Les solutions de l’agriculture intelligente comme les robots, les capteurs et les machines connectées sont généralement coûteuses. Comment l’agriculture intelligente peut-elle fonctionner pour la majorité des agriculteurs du monde, qui sont de petits exploitants travaillant avec des outils de base sur de petites parcelles de terre ?

Angela : Les solutions de l’agriculture intelligente ont généralement un coût, mais dans la plupart des cas, ce coût dépend de l’échelle à laquelle ces technologies sont mises en œuvre dans un périmètre donné. Au-delà de l’aspect matériel de l’« agriculture intelligente », si l’on considère également les données et le partage de données comme faisant partie intégrante de l’agriculture intelligente, il existe des applications abordables et simples à utiliser qui peuvent s’avérer particulièrement utiles pour les petits exploitants.

Si l’on n’associe pas de prime abord l’agriculture intelligente aux prévisions météorologiques via des applications disponibles sur les smartphones, celles-ci peuvent cependant influer grandement sur la prise de décision des agriculteurs. Elles peuvent ainsi inclure les données de radars météorologiques ainsi que des alertes en cas de phénomènes extrêmes, par exemple des avis d’inondation ou de tempête, et permettent ainsi aux petits exploitants de déplacer leurs troupeaux vers des terrains surélevés, ou encore de protéger ou de récolter leurs cultures suffisamment à l’avance.

Les agriculteurs peuvent également recevoir des alertes en cas de risque de biosûreté directement sur leurs smartphones. Prenons l’exemple d’une petite éleveuse de chèvres qui est avertie via son téléphone portable de l’apparition d’une maladie dans sa région : elle peut décider de ne plus faire paître son troupeau dans une zone commune plutôt que de prendre le risque d’infecter son troupeau. Cette technologie peut également être utilisée pour améliorer les débouchés commerciaux de cette éleveuse. Imaginez qu’elle ait six litres de lait de chèvre à vendre aujourd’hui. Si elle peut envoyer des notifications à trois acheteurs potentiels, ces derniers peuvent faire une offre pour son produit et elle a ainsi la possibilité de vendre au plus offrant. Un meilleur accès aux marchés peut améliorer considérablement la situation des petits exploitants.

Qu’il s’agisse de tenir compte des prévisions météorologiques, de commercialiser un produit ou de réagir face à une épidémie, tous ces exemples illustrent de quelle manière les solutions fondées sur l’agriculture intelligente peuvent aider les petits exploitants. Et pour avoir accès à l’agriculture intelligente, les petits exploitants ont également la possibilité d’investir collectivement dans des solutions technologiques, éventuellement avec le soutien des pouvoirs publics. Les fournisseurs de solutions fondées sur l’agriculture intelligente sont également susceptibles de proposer des alternatives pour rendre leurs technologies plus accessibles, notamment par le biais d’accords de facturation à l’utilisation ou de la location d’équipements.

Quelles sont les applications les plus visibles de l’agriculture intelligente dans le secteur agricole ? Quels changements éventuels les consommateurs verront-ils sur leur table ?

Angela : À vrai dire, les consommateurs ne « verront » probablement pas toujours le résultat de l’agriculture intelligente. Le lien entre les aliments qu’ils achètent et leur provenance ainsi que la manière dont ils ont été produits leur paraîtra en revanche plus évident.

L’agriculture intelligente a un rôle important à jouer dans la vérification des déclarations sur le mode de production et la provenance destinées aux consommateurs. Nous constatons de plus en plus fréquemment que les consommateurs prennent des décisions d’achat en privilégiant des produits sur lesquels sont apposées des déclarations relatives à la sécurité sanitaire des aliments, à la durabilité, au bien-être animal et au pays d’origine.

La traçabilité constitue la colonne vertébrale de toutes ces déclarations. Or, les technologies de l’agriculture intelligente sous-tendent la plupart des systèmes de traçabilité. D’autres applications de l’agriculture intelligente contribuent également à la vérification de ces déclarations. Parfois, les consommateurs ont même la possibilité de voir et d’entendre l’agriculteur, grâce à des réfrigérateurs placés sur le lieu de vente de produits tels que la viande ou le lait et diffusant des vidéos racontant l’histoire du produit « de la ferme à la fourchette ».

De quelle manière les normes peuvent-elles soutenir une agriculture climato-compatible ? En quoi le Groupe consultatif stratégique sur l’agriculture intelligente de l’ISO (auquel vous participez) et sa feuille de route pour l’agriculture intelligente contribueront-ils à sa concrétisation ?

Angela : L’agriculture est soumise à une pression toujours plus forte pour produire des aliments d’une manière plus respectueuse du climat et pour un plus grand nombre de personnes dans le monde. Cela signifie que l’agriculture est très clairement incitée à gagner en efficacité et à produire plus avec moins de ressources. L’agriculture intelligente peut potentiellement aider les agriculteurs dans cette optique de diverses façons :

  • en contribuant à l’optimisation de l’utilisation des ressources et à une production alimentaire efficace ;
  • en assurant la connectivité tout au long de la chaîne d’approvisionnement, de la ferme à la fourchette et donc au niveau de chaque maillon ;
  • en facilitant la mise en œuvre, le suivi et la communication des stratégies politiques telles que les Objectifs de développement durable des Nations Unies.

Les technologies et les concepts existent, mais si ce potentiel n’a pas encore été réalisé, cela tient principalement à l’absence de coordination et de cohésion quant à la façon d’intégrer ces technologies pour faciliter le transfert de données. La normalisation des technologies numériques, de la collecte des données, des formats et des interfaces à l’optimisation et à l’interconnexion de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, est indispensable pour réaliser le plein potentiel de l’agriculture intelligente.

Pour y remédier, l’ISO a créé un Groupe consultatif stratégique sur l’agriculture intelligente (SAG-SF). La première priorité du SAG consiste à établir une feuille de route pour la normalisation qui définira l’orientation des Normes internationales relatives à l’agriculture intelligente pour les années à venir et permettra à l’agriculture intelligente de réaliser son énorme potentiel.

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