La production énergétique mondiale n’a jamais été aussi élevée. La consommation énergétique totale dans le monde, qui a plus que doublé en l’espace de 40 ans, devrait encore augmenter de 30 % d’ici 2030. Pire encore, le recours aux énergies fossiles, bien qu’en recul, représente toujours 81 % de la production énergétique mondiale.
Or le moyen le plus sûr de diminuer les émissions de gaz à effet de serre, et donc de lutter contre la hausse des températures de notre planète et les effets dévastateurs du changement climatique, est de réduire notre consommation en énergie et de gagner en efficacité énergétique, avec à la clé une diminution de la facture énergétique. L’Union européenne estime que la mise en œuvre, à l’échelon mondial, d’exigences minimales en matière de performance énergétique des produits, et l’harmonisation de ces mesures dans tous les pays, permettrait d’économiser dans ce domaine jusqu’à EUR 410 milliards d’ici 2030.
Trouver des moyens de réduire notre consommation énergétique est plus urgent que jamais, et des organisations mondiales comme l’Agence internationale de l’énergie (AIE) s’y emploient en mettant en avant des mesures et des politiques d’efficacité énergétique partout dans le monde. Nous avons demandé à Brian Motherway, Directeur, Division efficacité énergétique, à l’AIE, en quoi les normes aident à la mise en œuvre de telles initiatives dans la course contre la montre engagée contre le changement climatique.
ISOfocus : Pourquoi devons-nous nous inquiéter de notre consommation d’énergie ?
Brian Motherway : Nous devons nous attaquer aux défis associés à notre consommation énergétique : changement climatique, sécurité énergétique et pollution de l’air dans les zones urbaines. Les changements nécessaires, axés sur l’efficacité énergétique et le passage à des sources d’énergie renouvelables, n’auraient pas pu être mis rapidement en œuvre par le passé. C’est là le principal défi – la transition doit être réalisée à une échelle et à un rythme sans précédent.
Lors de la COP21, 164 pays ont établi des objectifs en matière d’énergie renouvelable pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ne sommes-nous pas sur la bonne voie ?
La COP21 marque une avancée majeure, et l’ampleur de l’engagement sociétal n’a jamais été aussi grande. Elle ne débouche pas encore sur la démarche de décarbonation totale qui s’impose pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Nous devons faire plus, en améliorant d’abord l’efficacité énergétique et en recourant davantage aux énergies renouvelables.
Commencer la démarche avec l’efficacité énergétique rend la tâche plus simple et moins coûteuse. Selon une récente étude réalisée à la demande de la ClimateWorks Foundation, s’attaquer en priorité à l’efficacité énergétique permettra de réduire de USD 2 500 milliards d’ici 2030 le coût total, pour la société, de la décarbonation du système énergétique. C’est clairement la direction à prendre.
Qu’en est-il des mesures d’efficacité énergétique ? Où en sont-elles ?
L’efficacité énergétique est le « carburant premier » du système énergétique mondial. C’est également un important levier pour les gouvernements pour amorcer une transition vers un système énergétique durable. Le Rapport sur le marché de l’efficacité énergétique (Energy Efficiency Market Report) de l’AIE suit l’évolution des principaux indicateurs de l’efficacité énergétique pour évaluer les progrès réalisés dans ce domaine.
Cette année, le rapport de l’AIE aborde différentes questions. L’efficacité énergétique s’est-elle améliorée suffisamment vite pour atteindre nos objectifs climatiques ? Quels pays et quelles politiques ont les meilleurs résultats et quelle est la clé du succès ? Le prix bas de l’énergie influe-t-il sur les investissements en faveur de l’efficacité énergétique ? En termes de climat, de sécurité énergétique et de budgets publics, quels sont les différents avantages de l’efficacité énergétique ?
Le dernier rapport indique qu’en 2015, plus de USD 220 milliards ont été investis au niveau mondial pour l’efficacité énergétique et que l’impact sur les déficits commerciaux à l’échelon national en a été significatif. Les économies d’énergie ont permis de faire baisser la facture totale des importations dans les 29 pays membres de l’AIE d’au moins USD 56 milliards en 2015. Les importations d’énergie sont l’une des plus importantes sources de déficit de la balance commerciale dans de nombreux pays membres de l’AIE. En 2015, le coût des importations d’énergie au sein de l’UE s’élevait à USD 270 milliards, soit le premier poste d’importation de la région.
Le rapport précise par ailleurs que grâce aux améliorations de l’efficacité énergétique effectuées depuis 2000, l’économie sur la consommation d’électricité en 2015 a été de l’ordre de 1 575 TWh, ce qui représentait, sur cette même année, 15 % de la production totale d’électricité des pays de l’AIE. Pour mettre ces chiffres en perspective, si la consommation d’électricité avait été de 15 % supérieure en 2015, il aurait fallu augmenter la capacité de production d’électricité de 580 GW dans les pays de l’AIE, soit un investissement supplémentaire de USD 1 170 milliards.
Les améliorations de l’efficacité énergétique sont le résultat de politiques contraignantes appuyées plus massivement par des normes et des réglementations. En 2015, les politiques d’efficacité énergétique obligatoires, avec normes de performance et cibles imposées, ont couvert 30 % de la consommation énergétique mondiale, contre 11 % en 2000.
Que reste-t-il à faire dans ce domaine et quel rôle les normes peuvent-elles jouer ?
Il faut établir de nouveaux modèles d’investissement et modifier les comportements. Dans cette optique, confiance et certitude sont indispensables : il faut convaincre les consommateurs de la solidité des arguments qui motiveront leurs décisions d’achat, et il faut encourager les banques à investir dans des solutions plus efficaces d’un point de vue énergétique. Les gouvernements eux aussi ont besoin de certitudes quant au bien-fondé du lancement de nouvelles politiques destinées à promouvoir une utilisation plus efficace de l’énergie. C’est là qu’entrent en jeu les normes, car elles apportent la confiance et les certitudes nécessaires.
Les normes ont déjà un fort impact au niveau mondial, par exemple lorsqu’elles servent à définir les performances énergétiques minimales des appareils et autres produits. Les normes nationales sont souvent efficaces, mais elles le sont encore plus quand elles sont harmonisées au niveau international. L’application de Normes internationales est un gage de confiance pour la prise de décisions. Elles garantissent qu’il y a consensus sur le mode de mesure de la performance énergétique et elles ont des avantages pour les consommateurs et pour le commerce dans son ensemble.
En matière de réduction de la consommation énergétique, les normes peuvent cependant faire encore beaucoup plus. Dans le secteur des transports par exemple, grâce à l’application de normes sur l’efficacité des véhicules, la consommation totale de pétrole à l’échelon mondial a aujourd’hui diminué de plus deux millions de barils par jour, soit une baisse de 2 %.
Or, si ces normes sur l’efficacité des véhicules étaient mises en œuvre dans tous les pays et si le niveau de performance progressait jusqu’à atteindre celui des normes actuelles les plus élevées, quatre millions de barils par jour, soit deux fois plus, pourraient être économisés. De même, l’application des normes de performance énergétique les plus élevées à l’ensemble des bâtiments aurait permis d’économiser 14 % de la consommation énergétique mondiale du secteur du logement en 2015.
Les normes peuvent aussi jouer un rôle dans le développement de nouveaux investissements. Pour des modèles novateurs comme les obligations vertes, elles contribueront à clarifier et à étayer utilement les règles et les définitions.
Enfin, pour investir dans de nouvelles technologies dans une optique d’efficacité énergétique, les gouvernements et les investisseurs doivent avoir la certitude d’obtenir des retombées positives. Les normes ont là encore un rôle crucial à jouer en termes de sensibilisation et de confiance dans la capacité de l’efficacité énergétique à produire des résultats tangibles.